Maëlle dessine à ses heures perdues. Ce n’est pas son métier, même si elle se sert de son coup de crayon pour ses projets. Ses esquisses sont visibles de tous, sur les réseaux sociaux. En début d’année, elle a été contactée par une femme se présentant comme travaillant pour une galerie d’art. « Elle m’a dit qu’elle était intéressée par mes dessins et qu’elle voulait les acheter sous forme de NFT (Non fungible token, actifs numériques fonctionnant sur une blockchain, NDLR). J’ai mis longtemps à faire le pas. Elle m’a relancée et m’a dit « il faut que tu crées un compte sur une plateforme qui s’appelle Art Safe Trads. Ça m’a coûté environ 35 000 Fcfp de minter (transformer en actif numérique NDLR) l’œuvre ».
Pas à l’aise dans l’univers du Web 3, Maëlle contacte le support du site qui l’informe qu’elle ne pourra pas vendre ses créations avant d’en avoir mis 5 en ligne sur la plateforme… Son acheteuse lui réclame 14 de ses dessins et assure qu’elle est prête à payer 3 ETH par œuvre (environ 760 000 Fcfp par œuvre). Une somme colossale. Heureusement, Maëlle décide de contacter la DGEN et Open Polynésie qui l’orientent vers un référent, Hellmouth Banner.
« Ils vont plutôt s’adresser à des gens qui, de leur point de vue, n’y connaissent pas grand-chose, remarque le fondateur de Dinovox, vers qui plusieurs victimes de ce que l’on appellera l’arnaque aux NFT se sont tournées. Ils vont identifier des artistes débutants ou encore pas très connus, pas nécessairement avec des œuvres cotées, en misant sur le coup de cœur. Les artistes, peut-être plus que la plupart des gens, ont une sensibilité propre qui les rend peut-être un peu plus sensibles à ce type d’arnaque ».
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Plusieurs créateurs du fenua auraient été touchés. Les galeries d’art locales en ont, elles aussi, eu écho.
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Créer un NFT ne coûte en réalité par très cher, une dizaine de dollars. « Que vous soyez un artiste coté, ou que vous soyez un amateur, ça ne coûte presque rien de créer un NFT. (…) Là, le modèle qu’on a, ce sont des propositions de création de NFT pour 300 dollars, avec une promesse de vente à 10 fois ce prix, voire beaucoup plus puisqu’on a des propositions d’achat derrière de 7000 dollars. Ces propositions d’achat, ces promesses d’achat ne vont jamais, évidemment, se concrétiser. » Une fois la somme payée à la plateforme, l’arnaqueur disparait…
De plus en plus de victimes entrent en contact avec Hellmouth Banner. Une « bonne nouvelle » pour ce spécialiste du Web 3 qui a fait de la lutte contre les arnaques un véritable cheval de bataille. Mais le chemin est encore long. Nombreux sont ceux qui se taisent, par honte, par culpabilité d’y avoir cru. Les escrocs, quant à eux, sont de plus en plus difficiles à détecter.
« Il y a une vraie technicité des escrocs«
« Il y a une vraie technicité des escrocs, estime Hellmouth Banner. Et puis ils utilisent des leviers psychologiques, typiquement la capacité à activer chez leurs futures victimes des réflexes cérébraux, des réflexes humains, qui vont générer ce qu’on appelle du FOMO (Fear of missing out, peur de rater une opportunité, NDLR). On va vous faire miroiter de vendre votre œuvre d’art à plusieurs milliers d’euros, on va vous faire miroiter un investissement qui va vous faire x3, et donc on est à la fois face à des gens très solides, très organisés. Ce sont des réseaux mafieux, il ne faut pas imaginer que c’est fait en amateur le week-end par des gens qui se sont dit avant-hier « Tiens, je vais escroquer des gens sur Internet ». Derrière, il y a de la mafia, il y a parfois des États voyous, je pense notamment à la Corée du Nord, qui a développé une expertise sur les escroqueries financières à travers le monde, donc ça d’une part, et on ne fait pas le poids généralement quand on se fait surprendre comme ça par un appel, par un email, par un MP sur les réseaux sociaux. D’autre part, il y a l’activation chez les victimes de choses qui sont assez universelles : l’envie de croire qu’on a vraiment gagné le gros lot, l’envie de gagner un peu d’argent, c’est tout à fait classique. Et puis enfin, en Polynésie, dans nos îles, on a, et ça a été parfaitement identifié par les escrocs internationaux, une forme de vulnérabilité, on a un tempérament culturel et de population qui est propre à l’optimisme, qui est propre à une certaine forme d’innocence, et cette innocence peut parfois se transformer en naïveté, et cette naïveté, c’est la matière première de ces escrocs-là ».
Pour Hellmouth Banner, un seul conseil à donner aux internautes : « Toute personne qui vous approche, tout e-mail que vous recevez, considérez que par défaut, il s’agit d’une tentative d’escroquerie. Considérez que quiconque sur Internet que vous ne connaissez pas, doit être « flagué » comme étant potentiellement dangereux pour vous. Alors, vous vous mettez en attente, vous n’agissez pas, vous n’envoyez pas d’argent, vous n’interagissez pas avec des gens que vous ne connaissez pas, avant d’avoir effectué quelques petites vérifications. » En cas de doute, contacter des professionnels.