Face au recul du paka, la crainte d’un relais de l’ice

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    La baisse de production de cannabis entre juin et août assortie aux récentes saisies fait craindre aux autorités sanitaires un rabattement vers l’ice. Plus accessible et vendu aujourd’hui à moindre coût, ce produit touche de plus en plus de jeunes, poussant les services de santé à renforcer la prévention.

    « Le paka oti, c’est la dèche. Tu peux en avoir facilement de l’ice en ce moment, par rapport à l’autre, le vert ». Autour des points de deal, les petits revendeurs de paka constatent désormais la présence de la métamphétamine dans les quartiers. Le paka se faisant plus rare, certains se disent parfois contraint d’accepter d’autres produits pour maintenir leurs revenus.

    Alors que les filières du cannabis et de l’ice étaient bien distinctes, il n’est donc plus rare de trouver sur un même point de deal ces deux drogues. Un phénomène inquiétant pour les professionnels de santé, particulièrement ceux qui travaillent auprès des personnes fragiles psychologiquement, comme les sans-abris. Le Dr Michel Steinmetz, psychiatre, alerte : « Dernièrement, j’ai entendu que des dealers proposaient l’alternative du mega blanc ou du mega vert, ça veut dire que le même dealer propose à la fois du paka et de l’ice. Cela favorise la bascule vers un produit beaucoup plus toxique pour le cerveau et beaucoup plus addictif, pouvant engendrer de graves problèmes psychiatriques. »

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    Et comme le prix du gramme d’ice est tombé à 80 000 francs, le prix des doses est plus que jamais accessible. « Il y en a beaucoup qui vendent de l’ice en haut, ils fument pas mais ils vendent, mais bon en ce moment comme ils vendent moins cher, je dirai 3000 la dose (0,04 gramme, Ndlr), ça part vite, 3000, c’est pas cher, normalement c’est 10 000 » confie un jeune du quartier.

    « Certains dealers proposent de l’ice à la place du paka, et certains consommateurs tombent dedans à ce moment-là de l’année »

    « Le prix diminue malheureusement, il faut tout faire pour l’éviter » souligne le médecin chef du centre de soin et de prévention des addictions (CPSA), Romain Bourdoncle. Spécialiste du suivi des addictions, il explique que la baisse de paka est fréquente à cette période de l’année, parfois en raison de la production qui fleurit moins bien, parfois à cause des saisies. « Malheureusement, certains dealers proposent de l’ice à la place du paka, et certains consommateurs tombent dedans à ce moment-là de l’année », observe-t-il.

    Si l’ice apparaît régulièrement dans les affaires pénales du palais de justice, « aucun indicateur ne permet d’évaluer le nombre réel de consommateurs » indique la procureure de la République, Solène Bélaouar. De quoi relativiser le chiffre de 30 000 consommateurs souvent avancé par les personnalités publiques.

    Un profil de consommateurs qui rajeunit

    Au CPSA cependant, les professionnels de santé ont identifié une statistique fiable : le rajeunissement des nouveaux consommateurs d’ice reçus au centre. Soit une hausse de 2% chaque année depuis 2022 chez les jeunes de 16 à 18 ans. Une observation qui se confirme également dans la dernière enquête en milieu scolaire : sur 3 178 élèves interrogés, 109 de moins de 17 ans avaient déjà essayé l’ice, et 89 d’entre eux reconnaissaient être venus en cours « sous effet » entre trois et neuf fois dans l’année.

    Une tendance inquiétante, selon le CPSA qui souligne le contexte de ces premières expérimentations. Ces nouveaux consommateurs font généralement un premier test dans un cadre festif. Certains se voient offrir une dose, d’autres se cotisent. Et s’ils sont généralement bien informés des dangers de la méthamphétamine, il leur est difficile de résister aux attraits du produit. L’effet désinhibant, la performance sexuelle, le sentiment de toute-puissance et l’état d’éveil prolongé – parfois plus de 24 heures – sont autant d’arguments qui peuvent justifier leur première expérience.

    C’est à ce moment que surgissent les comportements à risque – conduite sans permis, rapports non protégés, consommation excessive d’alcool… – et, pour retrouver l’euphorie, ils replongent, s’enfermant dans le cercle vicieux d’une dépendance coûteuse. Pour financer leur consommation, certains se tournent vers la prostitution, deviennent rabatteurs ou s’engagent dans le trafic.

    Des spots télé chocs réalisés avec les patients

    Face à ce constat inquiétant, la direction de la santé lance une vaste campagne de sensibilisation sur les dangers de la consommation. Avec un premier volet déjà engagé dans l’espace public : de grandes affiches 4×3 « No Ice » montrant les changements corporels radicaux d’une consommation régulière. « Il va y avoir aussi des spots télé, donc des petits films assez courts, assez chocs, qui représentent la réalité de terrain. Certains des scénarios ont été faits avec des patients, avec des groupes de patients aussi » ajoute le médecin qui rappelle aussi l’importance des consultations prévues dans le service et des campagnes de formation.

    Car les effets de l’ice sur la santé mentale sont particulièrement sévères prévient le chef du centre. « Au tout début, on va avoir de l’exaltation, on va se sentir plus motivé, pas envie de manger, pas envie de dormir. Dès que les doses commencent à être plus grandes, on observe des dents qui grincent, des hallucinations, des états de délire, de l’agitation et parfois de la violence ».

    La semaine dernière le Pays a annoncé la mise en place d’ici quelques jours, d’un infirmier aux urgences de l’hôpital. Celui-ci sera chargé des patients atteints de troubles psychotiques, ou sous l’influence de substances. Une équipe de soins en addictologie viendra compléter la prise en charge pour prévenir et soigner les patients. Enfin le Pays rappelle l’ouverture très attendue du Pôle de Santé Mentale (PSM). Après 2024 et 2025, elle est annoncée pour 2026 cette fois.

    Saisies d’ice : une hausse à plusieurs facteurs

    10 kg en 2021, 21 kg en 2022, 24 kg en 2023, 13 kg en 2024 et 261,1 kg entre le 1er janvier et le 31 juillet 2025, dont 181,6 kg aux Marquises le 14 juillet. Si les saisies d’ice en Polynésie française ont connu une hausse ces dernières années, les quantités ne sont pas destinés au marché local. Des chiffres qu’il faut donc interpréter avec prudence, car s’ils peuvent refléter la hausse des importations, ils peuvent aussi s’expliquer par une meilleure action des services de douane, de police et de gendarmerie, et un ciblage plus efficace des contrôles. Cette année, le renforcement des contrôles portuaires et aéroportuaires a entraîné de nombreuses saisies, dont une part importante était en transit sur le territoire. La coopération avec les Etats-Unis permet parfois d’intercepter la marchandise au départ de Los Angeles, ce qui explique notamment la baisse en 2024.

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