TNTV : Emmanuel Nauta, Ia Ora Na, merci d’être parmi nous ce soir, vous êtes le directeur du Fare Vana’a, il y avait urgence à mettre cette démarche en place ?
Emmanuel Nauta : « En tout cas, il y a nécessité, parce que depuis quelques années, nous travaillons à la création de nouveaux mots et il se trouve que parallèlement à cela, il y a également des particuliers, des services administratifs, des confessions religieuses qui, de leur côté, font également de la création lexicale. Et il se trouve que, quelquefois, on nous demande de traduire, voire de créer de nouveaux mots, et nous passons du temps, alors comme ça se passe très rapidement, c’est 15 minutes, mais ça peut prendre également une demi-heure, une heure, une demi-heure, voilà. Pour ensuite nous rendre compte que le mot a déjà été traduit, et que malheureusement, il n’a pas été mis en circulation, sinon dans un cercle fermé. Donc l’idée nous est venue de rassembler tous ces acteurs-là, de façon à ce que nous puissions, parce que c’est quand même un dynamisme qu’on a constaté, que nous puissions mettre en place une synergie, de façon à ce que la langue s’enrichisse, mais que tout le monde puisse en profiter, et que les locuteurs aujourd’hui puissent l’utiliser dans le langage courant.«
TNTV : Parce que vous l’avez dit, il n’y a pas une méthode, mais il y en a plusieurs, donc c’est très compliqué finalement de créer un mot, que tout le monde soit d’accord finalement sur un même terme.
Emmanuel Nauta : « Tout à fait. Alors chacun a sa méthode, mais l’idée c’est que tous ensemble nous puissions mettre en place une méthodologie qui puisse permettre la création, et de façon à ce qu’à la fin, le Fare Vana’a puisse valider toutes ces créations.«
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TNTV : Alors, comment est-ce que vous créez un mot finalement ? Il y a quand même une base, j’imagine, de recherche pour créer un mot. Par exemple, si je vous dis le mot drone, qui n’existe pas aujourd’hui en Reo Tahiti, comment est-ce que vous le traduiriez ?
Emmanuel Nauta : « Pour l’instant, je ne pourrais pas vous le dire, parce qu’il faut justement de la recherche. Donc bien comprendre quelle est l’origine de ce mot, est-ce que l’étymologie est latine, elle est française, etc. Et par rapport à ça, la compréhension du document, du mot, est-ce qu’il y a des mots en tahitien qui peuvent être des synonymes ? Ou sinon, à partir de mots qui existent déjà. »
TNTV : Un petit objet qui vole dans les airs ?
Emmanuel Nauta : « Voilà, par exemple.«
TNTV : C’est un peu ça finalement, la recherche que vous menez constamment…
Emmanuel Nauta : « Et ça prend du temps. »
TNTV : Alors, quelle sera la finalité de ce séminaire ? J’entends parler de la création d’un comité de pilotage.
Emmanuel Nauta : « Totalement. À la fin de la réunion, nous souhaitons mettre en place un to’ohitu, parce que demain, on n’aura pas le temps de rédiger justement la méthodologie des règles communes. Donc ce comité se réunira par la suite, en concertation avec tout ce qui a été dit dans la journée, de pouvoir proposer ensuite à l’ensemble des acteurs une méthode qui soit à peu près commune et acceptable à tout le monde. »
TNTV : Selon la dernière publication de l’Académie, il y a un peu plus de 35 000 locuteurs en Reo Tahiti, en Polynésie, soit moins de 10 % de la population. C’est très peu. Si l’on ne fait rien d’ici deux générations, la langue aura disparu. C’est impossible à imaginer une telle situation. Comment est-ce qu’on inverse la tendance ?
Emmanuel Nauta : « Alors, moi, j’ai rencontré le mois dernier un groupe de Hawaïens qui sont venus nous expliquer comment ils ont procédé. En 1980, ils ont estimé à 2 000 locuteurs. Donc c’est très peu. Et à ce niveau-là, on peut déjà considérer que la langue est presque morte. Et donc ils ont mis en place un système de réflexion. Et ils sont arrivés à mettre en place un cursus complet de la maternelle jusqu’à l’université, où tout est enseigné dans la langue hawaïenne.«
TNTV : Il n’y a pas d’interruption comme chez nous, finalement ?
Emmanuel Nauta : « Il n’y a pas d’interruption, totalement. Et donc la langue hawaïenne est la langue d’enseignement. Et la langue anglaise américaine est enseignée en seconde langue, ce qui n’est pas le cas chez nous.«
TNTV : Ça serait possiblement…
Emmanuel Nauta : « C’est une réflexion à mener, totalement, et de manière concertée, évidemment, avec les élus du Fenua. »
TNTV : Le corps enseignant, bien sûr.
Emmanuel Nauta : « Le corps enseignant, évidemment.«
TNTV : Il se pose quand même une autre problématique, Emmanuel. On dit bien souvent que les personnes n’osent pas s’exprimer en Reo Tahiti de peur de mal parler la langue. Comment est-ce qu’on les aide à surpasser cette peur, finalement ?
Emmanuel Nauta : « Ça aussi, c’est une question très complexe. Il y a deux choses. Il y a ceux qui apprennent et qui, effectivement, ont peur de parler. Souvent, ils disent qu’on se moque d’eux parce qu’ils ne prononcent pas bien, parce qu’à la place du H, ils le suppriment, etc.«
TNTV : Il n’y a pas de honte à avoir.
Emmanuel Nauta : « Il n’y a pas de honte à avoir, totalement. »
TNTV : Tout à fait.
Emmanuel Nauta : « Et que, quelquefois, ce qu’on dit est plus risible qu’autre chose. »
TNTV : Très bien. Merci beaucoup, Emmanuel Nauta, d’avoir été notre invité ce soir. Et je précise que vous êtes à la recherche de deux académiciens. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 7 novembre et le scrutin, lui, aura lieu le 21 novembre.