TNTV : Pendant votre séjour, vous avez manifesté votre admiration pour ces cultures très puissantes, on vous a entendu les féliciter à plusieurs reprises. Est-ce que vous entendez aussi ces souhaits d’émancipation exprimés de la part d’une partie de la population ?
Manuel Valls, ministre des Outre-mer : « Nous avons peu parlé des sujets politiques mais je les connais. J’ai constaté une Polynésie qui a ses défis à relever, celui du changement climatique, ses problématiques sociales, je pense à la question des inégalités, des défis considérables, nous en dirons un mot sans doute, celui de la lutte contre le narcotrafic, contre les drogues, contre les stupéfiants. Mais j’ai vu aussi un Pays, un fenua qui va bien, qui regarde l’avenir avec de l’optimisme et qui a envie d’utiliser tous ses atouts pour pouvoir commercer dans le Pacifique, pour pouvoir s’élargir davantage dans cette région et qui représente incontestablement un atout pour la France. On a souvent dit la France apporte beaucoup à la Polynésie, c’est vrai d’un point de vue financier. Mais moi je trouve que la France apprend beaucoup de la Polynésie, notamment dans son rapport à la culture, à l’océan, à l’autre, dans la manière de vivre. Tout n’est pas rose, j’en suis bien conscient, mais il y a là une force, une tranquillité aussi, une sérénité, qui malgré les problèmes incontestables de vie quotidienne, sont assez exemplaires de mon point de vue pour la France, vu dans la situation politique dans laquelle elle se trouve » .
TNTV : Une sérénité probablement plus marquée que chez nos voisins calédoniens. L’accord de Bougival est contesté, vous l’avez vu (lundi) encore, par l’union calédonienne, mais la décolonisation est tout de même en marche dans cette collectivité. Pourquoi ne l’est-elle pas en Polynésie ? Est-ce parce que le Tavini Huiraatira a choisi la voie pacifique ?
M.V : « Non, il ne faut jamais qu’il y ait la moindre prime à la violence. L’histoire de la Nouvelle Calédonie et de la Polynésie sont très différentes, vous le savez. La Polynésie bénéficie aussi d’une autonomie forte, qui vient d’ailleurs depuis plus longtemps que la Nouvelle Calédonie. Il faut examiner ces sujets, voir qu’est-ce qui peut être amélioré, comment donner plus de compétences. Ce sont des sujets qui doivent être traités d’abord par les Polynésiens. Il faut que ces débats soient portés à la connaissance des Polynésiens. Je n’ai pas le sentiment que lors des dernières élections territoriales ici en Polynésie, le débat ait véritablement porté sur ce sujet, sinon plutôt sur le renouvellement des responsables politiques. Il faut s’occuper des vrais sujets des Polynésiens : l’emploi, la formation, l’avenir de la jeunesse, la question de la pêche, l’autonomie alimentaire. Aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment que ce soit le sujet principal, le sujet qui soit au cœur de toutes les tensions, comme c’est le cas en Nouvelle-Calédonie, qui a une histoire différente. Mais je suis évidemment attentif aux débats qui ont lieu. La France est présente aux débats qui ont lieu au niveau des Nations Unies (…). Moi, j’ai une conviction et je l’ai ressenti là où je suis allé, c’est que le lien entre la Polynésie et la France, l’État, est fort. Pas uniquement d’un point de vue financier, mais du point de vue aussi de la mémoire, de ce que les uns et les autres apportent. Au fond, on est en train de trouver un équilibre qui me paraît très intelligent. Je pense qu’il faut évidemment enlever toute idée de paternalisme et d’infantilisme. La Polynésie s’épanouit dans ce territoire du Pacifique toute seule. Mais on doit pouvoir ensemble, pour défendre des intérêts communs, avancer ensemble » .
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TNTV : Il y a un autre sujet sensible, vous le savez, c’est le nucléaire en Polynésie. Certains Polynésiens attendent toujours un pardon de la France. Est-ce que ce pardon va venir ? Et surtout, on estime qu’il y a plus de 100 milliards qui ont été dépensés par la CPS pour les maladies radio-induites, ces dépenses vont-elles être remboursées par l’État ?
M.V : « Je sais que c’est un sujet sensible qui a fait basculer l’histoire moderne dans les années 60 de la Polynésie française. Et moi, je souscris à la nécessité d’un acte symbolique fort. Il est nécessaire à la mémoire autour des essais nucléaires. C’est au président de la République de le décider. Ensuite, l’État, à travers le chef de l’État, à travers le président de la République, Emmanuel Macron, avait pris un certain nombre d’engagements. Ces engagements, pour la plupart, sont tenus. La prolongation des missions allées depuis 2022, le centre de mémoire qui, maintenant, est à la main du gouvernement polynésien, l’installation du RSMA, service militaire adapté à eau, la dépollution des terrains, la déclassification de tous les documents – on est arrivés, aujourd’hui, à 98%. Le report jusqu’à fin 2027 pour tout dossier d’indemnisation. Il reste la question des indemnisations. Il y a un débat qui a lieu, une discussion avec la CPS. Je crois qu’on est d’accord autour d’une somme forfaitaire, 70 000 euros (8,3 millions de francs) à peu près par dossier. Mais maintenant, il faut discuter du nombre de personnes qui peuvent être concernées. Ce travail doit continuer à se mener. Le ministre de la Santé viendra dans quelques semaines, ici, en Polynésie. On pourra également l’interroger sur ces sujets-là (…). Il y a aussi une commission d’enquête parlementaire qui aboutira sans doute à une proposition de loi dans quelques mois. Donc sur ces dossiers-là, dans la transparence, l’État n’a rien à cacher. On doit pouvoir avancer parce que c’est important qu’il y ait toujours une réconciliation des mémoires » .
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TNTV : Il y a une autre question de santé, mais qui concerne aussi la sécurité et la société. C’est l’ice, on vous a entendu en parler hier. On a pu avoir le sentiment que vous mettiez un peu le cannabis au premier plan dans la lutte. Le haut-commissaire parlait aussi de l’alcool. Mais l’ice est vraiment la drogue qui inquiète le plus les polynésiens. Qu’est-ce que vous pouvez faire ? Est-ce que vous pouvez répondre à la demande du président de la Polynésie qui demande à augmenter le quantum des peines ?
M.V : « L’ice, évidemment, provoque des dégâts considérables en matière de santé publique, peut détruire les personnes. Donc il faut mener une action. D’abord de coopération internationale, puisque la Polynésie est un lieu de passage entre les États-Unis d’Amérique et l’Australie. Il y a eu des saisies record encore il y a quelques jours. Et (lundi), nous l’avons vu avec les services des douanes, la police, la gendarmerie, nos armées, la police municipale de Papeete, tout le monde est extrêmement mobilisé. C’est évidemment une priorité. Le quantum des peines est déjà très important, il s’applique, et a priori, il ne bougera pas. On peut toujours faire évoluer les choses. Mais l’ice ne doit pas cacher le reste. Et la consommation de cannabis avec des doses particulièrement puissantes est particulièrement dangereuse pour la population en général, et notamment pour les mineurs. Il ne faut pas avoir une vision romantique de la consommation de cannabis. Et le mélange cannabis-alcool, évidemment, provoque de la violence, notamment dans le milieu familial, mais aussi sur la route. Je pense au nombre de morts en deux roues qui est déploré en Polynésie. C’est une lutte générale. Il y a le travail de l’État. Et il faut un véritable travail de prévention, de santé publique, de santé mentale qui doit être menée au niveau du Pays » .
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TNTV : Vous allez retrouver à votre retour un gouvernement en pleine tempête budgétaire. La Polynésie et les Outre-mer vont être épargnés par cette tempête budgétaire ? Est-ce que vous pensez pouvoir maintenir les crédits alloués à la Polynésie ?
M.V : « J’ai de longues expériences politiques. Et je dois dire que c’est une chance et un honneur d’être ministre des Outre-mer et d’être très présent avec cette mission auprès de mes compatriotes ultramarins. Et je veux faire avancer les dossiers, reconstruire Mayotte, venir en aide à la Réunion après un cyclone, régler le problème évidemment de la Nouvelle-Calédonie en établissant la paix civile, lutter contre la vie chère partout et répondre aussi évidemment aux attentes des Polynésiens. Je viens de passer une semaine particulièrement intéressante, passionnante avec mes compatriotes polynésiens, avec l’ensemble des élus et des acteurs économiques et sociaux » .
TNTV : Ça vous encourage à maintenir les budgets ?
M.V : « Non, ça m’encourageait à rester ici. Mais je dois rentrer (…). Il faut que la responsabilité l’emporte. Dans l’Hexagone, il y a beaucoup de responsabilités, il y a beaucoup de divisions. Et je dois préserver évidemment l’essentiel du budget des Outre-mer parce qu’il y a des besoins pour les centres d’abri face aux intempéries, pour soutenir les jeux du Pacifique, pour augmenter les moyens. Vous savez, les moyens de l’État vers la Polynésie française ont augmenté de 2020 à 2024 de 192,4 milliards à 222,8 milliards de francs pacifiques. Cela veut dire que l’État joue son rôle et je veux préserver cette aide, même si les choix budgétaires du Premier ministre ne seront pas faciles. Mais je demande vraiment aux membres du gouvernement français comme à tous les parlementaires de penser aussi beaucoup plus aux Outre-mer, qui ont besoin de la passion et de l’engagement de l’État » .
TNTV : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ce séjour en Polynésie ? Qu’est-ce qui vous a peut-être aussi le plus surpris ?
M.V : « La passion pour la culture, la fierté pour les cultures, parce qu’elles sont différentes. Selon les archipels visités, une très grande dignité, une très grande fierté, une très grande tranquillité dans la manière d’envisager les sujets. À travers le musée que j’ai visité ou le succès de l’UNOC, succès de la France qui est dû d’abord à la Polynésie, à son gouvernement, qui s’est engagé de manière extraordinaire sur ce sujet-là. Je répète ce que j’ai dit : la force de la Polynésie, elle entraîne la France dans le Pacifique. C’est vrai sur la culture. C’est vrai sur la biodiversité. C’est vrai sur la lutte contre le changement climatique dont nous avons beaucoup à apprendre. Qu’est-ce qui m’a surpris ? Je ne sais pas. Les fêtes, les noms qui m’ont été donnés. Et peut-être ce qui m’a surpris davantage, c’est l’attachement des Polynésiens à la France et au rôle de l’État » .