Le futur Centre de Mémoire des essais nucléaires divise au sein même du comité qui le conçoit

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Le rapport du comité scientifique et culturel a été remis le 30 septembre au président. TNTV se l’est procuré. Il est encore loin de faire consensus.

Ce rapport (appelé PSCE, pour Projet Scientifique, Culturel et Educatif) doit servir de base au futur Centre de Mémoire du CEP, Pū Mahara.

Imaginé dès 2005 par une commission de l’Assemblée de la Polynésie française, le Centre de Mémoire est prévu pour la fin de l’année 2030… si tout se déroule selon le calendrier prévu, car il est difficile de mettre tout le monde d’accord sur une question aussi sensible.

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La DSCEN, qui supervise les travaux, prend donc toutes les précautions possibles lorsqu’elle écrit au Maître d’ouvrage, le Président Moetai Brotherson. Elle reconnaît que “la consolidation du dossier scientifique doit impérativement se poursuivre”.

Le problème, c’est que le Comité chargé de cette réflexion, puis de cette rédaction, s’est considérablement réduit. Officiellement, il est simplement passé de 28 à 26 personnes, après deux démissions (les chercheurs Tamatoa Bambridge et Bruno Saura). Mais nous avons pu joindre plus de la moitié des 26 membres restants, et la très grande majorité nous a indiqué qu’elle ne contribuait plus au projet, soit par manque de temps, soit par désaccord. Seules deux des personnes jointes se sont déclarées “en phase” avec le projet transmis.

Un comité rédactionnel de plus en plus réduit

Ils étaient une douzaine de volontaires, au premier semestre de cette année, à composer le comité rédactionnel. Mais leurs travaux ne donnent pas satisfaction à la DSCEN, résume la lettre adressée au Président : “Ce document, se décomposant en 14 chapitres, bien que présentant une somme de travail considérable et riche d’informations bien documentées sur certains points, était inadapté à l’usage qui lui est destiné et surtout très déséquilibré au regard de l’ambition initiale du projet dans la mesure où les mémoires n’y étaient pas traitées.”

Le rapport est donc repris par une équipe bien plus réduite : la directrice de la DSCEN Yolande Vernaudon, assistée du conseiller culturel du Haut-commissariat Paul Léandri. C’est donc ce rapport d’une centaine de pages (annexes comprises), réécrit avec des éléments du précédent, qui est remis à Moetai Brotherson, tout en reconnaissant qu’il ne fait pas consensus.

L’exigence de confidentialité est plusieurs fois mentionnée. Les personnes que nous avons pu joindre nous ont donc donné des informations, mais aucune n’a souhaité accorder d’interview ni même être cité. Sauf le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique, le professeur Jacques Vernaudon : “Je trouve que le ton et la posture du document principal du PSCE sont justes et équilibrés” a-t-il déclaré, précisant que “les dossiers ‘Mémoire’ et ‘Scientifique’ restent à consolider”.

« Le CEA-CEP a profané notre terre et notre océan »

L’introduction de ce PSCE est sans concession avec le CEP. Elle cite la lettre ouverte d’Henri Hiro au Ministre des Outre-mer en 1979 : « Le Polynésien qui vous écrit aujourd’hui, Monsieur, est-il un homme de second rang, d’une race inférieure et de peu d’importance pour qu’il lui soit imposé sur sa terre des essais que les responsables ne songent même pas à effectuer dans leur propre pays ? ». Les rédacteurs affirment ensuite sans détour : « Le CEP-CEA est un acte colonial ».

Mais la suite du document est plus mesurée. C’est ce qui déplaît à certaines personnes qui n’ont plus souhaité y contribuer. « Ca va se terminer par un centre de mémoire qui va dédouaner l’Etat » craint l’une d’entre elles.

Plusieurs universitaires regrettent que leurs travaux n’aient pas été pris en compte, et que le document ne réponde pas à l’objectif initial : un centre de mémoire avant tout au service des Polynésiens. L’annexe scientifique du projet est la plus décriée : « C’est de l’IA ou une copie d’énarque, ce qui est un peu la même chose » persifle un membre du comité qui s’est mis en retrait. Un autre regrette que cette annexe « minimise les risques, ne parle pas des mensonges », mais aussi « victimise l’ensemble des Polynésiens comme s’il n’y avait pas des gagnants et des perdants dans l’histoire du CEP ».

Ceux qui soutiennent le projet en l’état reconnaissent que « le consensus n’est pas atteint » et que « le document est perfectible ». Ils défendent leur travail mais ne peuvent en parler car « seul le Président est autorisé à communiquer ». Ce qu’il n’a pas souhaité faire.

Les rédacteurs du PSCE écrivent aussi, avec prudence, que le Centre de Mémoire n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions, ni de ne proposer une vérité définitive sur les essais nucléaires. « Le futur Pū Mahara ne sera ni un mémorial au sens strict, ni une cité des sciences atomiques, mais un musée de type centre d’interprétation » espèrent-ils. Ils tiennent à ne pas faire de Pū Mahara un monument aux morts, mais « un espace vivant où la mémoire s’incarne dans le paysage, la parole, la marche, la symbolique végétale, l’ombre et la lumière ». Il devrait aussi être un espace culturel, avec des ateliers et des expositions.

Extrait du projet soumis au Président de la Polynésie française

Quant à l’espace muséographique, il sera une « atmosphère », une « expérience » et « un ancrage sensible en contemporain dans le monde ma’ohi ». Le jardin, lui, sera à la fois tahua et lieu de recueillement. Le Centre accueillera aussi un auditorium pour des spectacles, conférences ou débats, ainsi qu’un studio de captation et des résidences d’artistes.

Pū Mahara disposera enfin d’un “jumeau numérique”, c’est-à-dire que les documents du Centre seront consultables en ligne.

Une étude réalisée auprès de 800 personnes permettra d’affiner ce que la population attend de ce musée.

Le Comité, ou ce qu’il en reste, attend maintenant les remarques de Moetai Brotherson pour se remettre à l’ouvrage, puis transmettre le projet final au programmiste. Le concours d’architecture est prévu fin 2026 et le début des travaux début 2029, en plein centre-ville, à côté du Parc Bougainville et face à la Place Tarahoi.

Mike Leyral, avec Sam Teinaore & Jeanne Tinorua

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