« Américains accidentels » du fenua, une double nationalité et de multiples problèmes

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Elles sont des « Américaines accidentelles ». Vaitiare et Raina, deux Polynésiennes nées sur le sol américain, « regrettent » d’en avoir obtenu la nationalité grâce au droit du sol. Car comme tout citoyen des États-Unis, elles ont l’obligation d’être en règle vis-à-vis du fisc du pays qui les a vues naître. Et les banques locales doivent fournir à celui-ci les dossiers à jour de leurs clients concernés. Mais pour y parvenir, les démarches administratives s’avèrent particulièrement complexes et la fermeture du consulat en Polynésie n’a pas arrangé les choses. « Je souhaite renoncer à ma nationalité », explique Vaitiare qui a créé un groupe Facebook pour réunir des personnes confrontées à la même situation, mais aussi pour alerter les autorités.

Dans le monde, ils sont nombreux à rêver d’obtenir un jour la nationalité américaine. Vaitiare et Raina*, 47 et 46 ans, n’ont, elles, rien demandé. Mais leurs histoires personnelles ont fait qu’elles disposent d’un passeport américain.

Alors qu’elle était enceinte, la maman de la première est allée visiter des membres de sa famille aux États-Unis. Craignant des complications durant sa grossesse, elle a préféré accoucher de sa fille sur place avant de revenir un mois plus tard au fenua. Bénéficiant du droit du sol, Vaitiare a donc obtenu la double nationalité : française et américaine.

 

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Une particularité dont elle ne s’est pas souciée durant de longues années. Jusqu’à l’année dernière et le décès de son père. Son frère lui a alors versé la part qui lui revenait sur la vente de la maison du défunt.

« C’est là que j’ai découvert que j’étais une ‘Américaine accidentelle’. Mon cousin américain m’a dit : ‘fais attention, tu vas avoir des problèmes avec le fisc’ », raconte-t-elle. Car tous les citoyens des États-Unis, même ceux qui ne vivent pas sur son sol, doivent déclarer leurs revenus et leur patrimoine aux services fiscaux des États-Unis, et sont potentiellement imposables.

« On est obligé de faire remonter tout ça là-bas. Je ne l’ai jamais fait. Pour le moment, le fisc ne m’a jamais contactée. Mais cela m’inquiète. Je ne peux pas vraiment avancer dans la vie », souffle Vaitiare.

Si elle n’a « jamais fait le compte », elle estime qu’elle est possiblement redevable de « beaucoup d’argent ». Elle souhaite donc désormais « renoncer » à sa nationalité américaine devenue un « cadeau empoisonné ».

« Je n’en ai pas du tout profité. Il n’y a aucun avantage. J’ai une longue maladie et, là-bas, si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas de soins. Et la vie américaine ne me fait pas du tout rêver. Je ne vois pas l’intérêt », dit-elle.

Mais renoncer à son passeport s’avère plus difficile que prévu. Les États-Unis ne disposent plus d’une représentation consulaire au fenua depuis le mois d’avril. Il faut donc s’adresser à l’ambassade située à Suva, aux Fidji.

« Je leur ai envoyé 4 mails pour connaître la procédure à suivre, mais je n’ai eu aucune réponse en retour. C’est très pénible », déplore la quadragénaire. Pour « recenser » les personnes au fenua confrontées à la même situation, elle vient de créer sur Facebook le groupe « Américains accidentels de Polynésie française ».

« Je souhaite qu’on puisse se réunir pour partager nos expériences et s’entraider. Et si le président -Moetai Brotherson, Ndlr- pouvait joindre Fidji pour leur dire : ‘répondez à vos mails’, ce serait aussi une bonne chose », ajoute-t-elle.

« J’en viens à détester les États-Unis  »

Raina a aussi vu le jour sur le sol américain. Elle n’envisage pas de renoncer à sa nationalité, qui fait partie de son « identité », même si elle « en vient à détester les États-Unis ». Car les banques de Polynésie, comme celles de l’Hexagone, sont contraintes de jouer la transparence avec les services fiscaux américains.

Les dossiers de leurs clients doivent être en règle et à jour. Or, Raina ne parvient pas à obtenir son « Social Sécurité Number », son numéro de Sécurité sociale américain, une pièce maitresse du dossier. Sans celui-ci, ses comptes bancaires locaux pourraient être clôturés comme cela est arrivé à l’une de ses proches.

Pour l’obtenir, elle doit démontrer qu’elle a vécu la quasi-totalité de son existence en Polynésie et présenter, pour ce faire, des justificatifs annuels de sa présence au fenua. « J’ai 46 ans, donc c’est 46 documents. Mais les services américains refusent les documents manuscrits. Or, dans les années 80, ici, que ce soit pour les médecins, ou dans les écoles, on n’utilisait pas d’ordinateur ou de machine à écrire », souligne-t-elle.

Ces dernières années, elle s’est donc rendue à trois reprises, à ses frais, à Los Angeles pour tenter de se mettre en règle….en vain pour le moment.

« Tu peux tomber sur des agents sans aucune humanité. Ils ne cherchent pas à comprendre d’où l’on vient, même si je suis de bonne foi (…) Le dernier agent que j’ai eu au téléphone m’a dit que mon dossier était introuvable. Je suis furieuse. J’ai fait trois voyages avec des locations d’hôtels et de voitures à chaque fois », s’agace-t-elle.

Malgré un dossier toujours incomplet, sa banque se montre compréhensive et maintient son compte ouvert. Mais l’épée de Damoclès pourrait s’abattre à tout moment.

Raina souhaiterait que les établissements locaux créent une « cellule d’aide » pour ceux confrontés à une telle situation afin d’éviter qu’ils aillent « à l’aventure un par un » avec des chances minimes de réussite.

« Je regrette quelque part d’avoir cette double nationalité. Mais elle fait partie de moi. Je ne peux pas la renier. Je suis aussi un peu chez moi là-bas. Mais pourquoi nous compliquer la vie ? », conclut-elle, amère.

*prénom d’emprunt

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