“L’eau monte, les îles s’enfoncent” mais le fenua a encore le temps de s’adapter

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    Les marégraphes confirment une élévation lente, mais régulière du niveau de la mer en Polynésie. Pas de scénario catastrophe imminent, assurent toutefois les scientifiques, mais ils appellent à anticiper le problème dès aujourd’hui pour éviter des décisions précipitées dans quelques décennies.

    Les marégraphes de Papeete et Mangareva mesurent une élévation moyenne de 3mm/an en Polynésie depuis 1993, soit environ 10 cm gagnés par la mer en 30 ans. « Si on multiplie cette hauteur de 10 centimètres par 5 millions de kilomètres carrés, ça fait 500 milliards de mètres cubes d’eau de mer en plus”, explique Marania Hopuare, maîtresse de Conférences à l’UPF et géophysicienne. Cela équivaut à remplir près de 200 millions de piscines olympiques.

    Elle insiste : “le but n’est pas d’être alarmiste, mais en termes de volume d’eau, c’est important, surtout pour un pays essentiellement maritime comme le nôtre.

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    Ces 3mm/an sont une moyenne, “avec des petites différences entre les Marquises, proches de l’Équateur, et les Australes et les Gambier, plus proches des moyennes latitudes.” Ces données sont partagées avec les services du Pays via la Direction polynésienne des affaires maritimes (DPAM) et l’État, via le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine.

    Elle rappelle que plusieurs facteurs s’additionnent pour expliquer le phénomène : « Il y a, évidemment, le niveau de la mer qui augmente parce qu’il y a la fonte des glaciers terrestres. Donc, il y a l’apport d’eau, (..) au niveau global. Et puis, il y a aussi l’expansion thermique. Cette quantité d’eau, elle est plus chaude donc, forcément, elle va occuper plus d’espace. »

    À ce phénomène s’ajoute l’enfoncement naturel du socle volcanique selon les îles : « sans être alarmiste, on s’enfonce, l’eau monte. C’est une combinaison de plusieurs facteurs.

    Selon les projections, “on prévoit plus de 10 centimètres d’élévation dans une trentaine d’années, puis encore 10 centimètres par tranche de 30 ans”. Mais la scientifique rappelle qu’il reste des incertitudes : “on ne sait pas si l’évaluation de 3 mm par an va ralentir ou s’accélérer avec le réchauffement climatique. La tendance est plutôt à l’augmentation.”

    Des courants marins qui façonnent aussi la montée des eaux

    La vitesse de montée de la mer n’est pas uniforme dans tout le Pacifique. Victoire Laurent, de Météo France Polynésie, précise :  » Plusieurs aspects expliquent cela. Il y a un aspect dynamique : au niveau de l’océan, les courants marins, combinés aux alizés, déplacent l’eau de l’Est vers l’Ouest. Cela crée une pente naturelle, avec environ 40 cm d’eau plus élevée à l’Ouest qu’à l’Est« .

    Autre facteur : la température de l’eau. « La dilatation thermique de l’eau, qui augmente avec la température, contribue à cette élévation. La température varie aussi selon les zones : au centre du Pacifique, elle est légèrement plus élevée qu’aux Tuamotu ou aux Marquises. Cela provoque une dilatation plus importante au centre. »

    Par conséquent, la Polynésie connaît pour l’instant une montée des eaux plus modérée que d’autres parties du Pacifique, mais cette protection naturelle ne fera que retarder l’inévitable.

    « Une bonne santé des Tuamotu »

    Selon Victoire Laurent, les études de terrain sur le trait de côte (tout ce qui entoure le bord de mer) montrent une stabilité de 40 à 60 % des plages, et même un gain de terrain dans 20 à 25% des cas malgré une disparition de la plage d’environ 10 à 15 % sur certaines parties.

    Des températures plus chaudes qui compliquent l’adaptation

    Depuis plus d’un demi-siècle, les stations météo des Tuamotu collectent pluies et températures : “ces données-là nous ont servi à qualifier le climat des Tuamotu (…) Et vu que ces postes-là vont au-delà de 50 ans, on a pu également regarder si le changement climatique avait un impact sur le paramètre de température”, explique Victoire Laurent.

    Le constat est clair : “On a effectivement une tendance à la hausse (…) On est à peu près à 0,9 degré sur les Tuamotu « . Si les pluies annuelles restent globalement stables, la chaleur nocturne progresse :  » On a eu quelques épisodes où les températures ne sont pas descendues en dessous de 28 degrés et là (…) ça a un impact sur la population quand les nuits ne sont pas fraîches « .

    S’adapter sereinement

    Les scientifiques appellent à transformer ces observations en stratégie. Marania Hopuare insiste : “les premiers effets vont être mesurés dans environ 50 ans en Polynésie (…) Il ne faut pas attendre le dernier moment. En ce moment, on a des événements extrêmes qui rappellent la réalité du climat.”

    Victoire Laurent abonde : “On peut planifier dès aujourd’hui (…) On a le temps de bien faire les choses”. Elle rappelle qu’il faut éviter les réactions trop radicales : “ne pas se précipiter sur des solutions extrêmes qui ne reflètent pas forcément la réalité à court terme.”

    Chiffres clés :

    + 3mmm/an : vitesse de montée de la mer à Papeete

    + 1mm/an : vitesse aux gambier

    -0,5 mm/an : enfoncement naturel des îles (subsidence)

    +10 cm : 1élévation estimée d’ici 2055

    +0,9°C : hausse moyenne des températures en 50 ans dans les Tuamotu

    500 milliards de m3 d'eau : volume supplémentaire dans le Pacifique depuis 1993

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