Pas besoin d’activer la visio pour l’interview : la voix suffit à convaincre. Au bout du fil, Keanu Bopp, artiste tahitien de 25 ans, a l’air vraiment sympa. Et même s’il dit le contraire, il chante plutôt très bien, ce qui n’a pas échappé à Biga Ranx. Le Tourangeau, nom reconnu de la scène reggae/dub francophone, l’a invité sur son album Rainshine, sorti le 27 juin dernier, avec le titre roots reggae Natural Woman.
Un renvoi d’ascenseur mérité : unique en son genre dans l’album, « éloge de la femme au naturel » comme son nom l’indique, la chanson a été composée par Keanu et son compère Simon. Une première écoute suffit pour dire, sans être chauvin que c’est « Kea » qui invite Biga dans son univers plus que l’inverse. Le clip, réalisé par Jules Gondry (neveu de Michel), a en partie été tourné à Tahiti. 190 000 vues en 15 jours, 340 000 écoutes sur Spotify… Entre le timbre chaud du Tahitien et la voix lointaine, éraillée de son hôte, la sauce prend. « Pas mal pour une première vraie chanson » , commente Kea avec un naturel taquin.
« Le son, il fait mal à la tête »
À l’origine, il y a cette soirée un peu dingue, racontée par l’intéressé. À Montpellier, où il poursuit des études de musicologie, un Tahitien en cache souvent un autre. « On a un pote, JIKŪ, qui bosse dans la vidéo. Il avait rencontré Biga au TikiFest à Tahiti, ils ont sympathisé. Un jour, il est passé nous voir – à Montpellier – et il a appelé Biga comme ça, en mode “Tiens, j’ai des sons à te faire écouter”« . Dont Natural Woman, à l’état de simple maquette. La première réaction de Biga ? « Le son, il fait mal à la tête » .
« On s’est chiés dessus, on pensait qu’il aimait pas du tout la musique. Mais en fait, c’était un compliment à la Biga. Pendant 45 minutes, littéralement, il était juste en train de kiffer la musique, il a pull-up comme il sait bien faire en concert » , se marre Keanu. Comme un groupe de potes en studio, ils commencent à construire le morceau. »Il nous a dit “les gars, j’ai envie de poser des couplets là, là”, et on a dit “vas-y, carrément” » .
Rien ne sert de courir
La suite s’enchaîne : contact avec la maison de disques Wagram, enregistrement, tournage d’une partie du clip à La Cigale, où Biga donnait un concert. C’est pendant les balances que les deux artistes se rencontrent. Le courant passe à merveille : Kea n’est pas un nerveux, et la réputation de Biga le précède. « Il est tellement gentil et simple qu’en fait, j’ai eu l’impression que c’était un pote qu’on connaissait depuis longtemps. Moi, je suis du genre à pas réussir à me projeter, donc j’étais là, tranquille. Et puis il est arrivé, on a commencé à filmer, il dansait déjà dessus, on a rigolé… C’était cool, quoi » .
Keanu flotte au dessus de ce succès avec une certaine légèreté. Monté sur scène pour jouer devant 5000 personnes au festival Jardin Sonore de Vitrolles le jeudi 10 juillet, est passé, le temps de quelques heures, « dans un autre monde« , pour un moment « magique » , mais pas non plus hors-sol. « Franchement, j’ai pas eu autant de stress que j’aurais pensé. Quand tu vis le truc en backstage, tu te nourris un peu de l’énergie des gens autour. Et puis l’équipe de Biga, elle est tellement accueillante, tellement sympa, en fait. Tu peux pas vraiment stresser, quoi. Tu peux que t’amuser. Après, je suis monté, j’ai chanté. Et puis c’était cool de voir qu’il y a des gens qui connaissaient la chanson » . Cool, toujours.

Dans le Sud de la France, Keanu reste ancré à ses racines tahitiennes, en toute simplicité. Un petit appart, un petit cercle d’amis, sans chercher à tout prix à précipiter les choses. « Avec Simon, on a une bonne cohésion, on fonctionne bien, toujours dans le salon, avec mon petit setup (…). Je suis encore dans un déni chelou, mais c’est fou, quand même. Parce qu’après, derrière, je me dis qu’il y a encore beaucoup à faire » .
Notamment du côté de la comm’, qui n’est clairement pas sa partie préférée du job. »Moi qui touche pas du tout à Instagram ou aux vidéos, là je commence à mettre les pieds dedans, parce que ça va pas se faire tout seul » , concède-t-il. La collaboration avec Wagram et les équipes de Biga lui a ouvert quelques portes qui l’invitent à progresser. « On n’avait pas une grosse visibilité, on n’avait pas non plus fait les efforts au niveau promotion ou réseaux sociaux, on n’avançait pas vraiment, quoi. Ce feat, c’est un peu le déclic, en mode, ah ouais, c’est possible, quoi » .
Un EP dans les prochains mois
Rentré à Tahiti en avril dernier, Keanu savoure chaque retour au fenua. « Ça m’a fait du bien, comme à chaque fois. Et puis ça m’a peut-être donné envie de rentrer pour de bon un jour » . La famille suit tout, même à distance. « Un soir, ils m’appellent : “T’as vu, tu viens de passer sur Tiare FM !” Moi, j’avais même pas cru qu’on allait passer sur une radio là-bas. Que ça marche à Tahiti, ça me touche vachement. Parce que c’est là que je suis né, c’est là qu’il y a ma famille, mes potes » .

Un EP, Little Rascal, est déjà prêt, ou presque. 25 chansons sont écrites, mais pas encore enregistrées. 6 maquettes sont abouties. Les amateurs de Natural Woman apprécieront sans aucun doute. Date de sortie : fin septembre, au plus tard.