« État de Nouvelle-Calédonie »: un statut inédit entre association et souveraineté, selon un constitutionnaliste

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    Le futur "État de Nouvelle-Calédonie", prévu par l'accord signé samedi, se rapproche d'une "indépendance-association" inédite, estime le constitutionnaliste Benjamin Morel. Un statut original, à ses yeux plus proche d'un protectorat que d'un modèle fédéral ou décentralisé. Interview de nos confrères de l'AFP.

    AFP : Le terme « État de Nouvelle-Calédonie » peut évoquer un modèle fédéral. Est-ce le cas ?
    Benjamin Morel, constitutionnaliste : « On pourrait se dire que c’est un modèle fédéral, typiquement les Länder allemands ou les États américains. En fait, on est dans quelque chose de très différent. Les statuts les plus proches, a priori, ce sont les statuts des protectorats mis en place après la Première Guerre mondiale, qu’on peut trouver avec des pays comme le Maroc ou la Tunisie, ou les statuts des pays en voie de décolonisation de l’immédiat après-58. En 1958, la Constitution met en place une Communauté française (dissoute en 1960, ndlr), une sorte de Commonwealth à la française, avec des États qui sont indépendants, notamment en Afrique subsaharienne, mais qui acceptent de déléguer des compétences à une structure centrale, avec une possibilité de reprendre ses compétences. Et quand ils les reprendront dans les années 60, ça signifiera l’indépendance.« 

    Ce statut implique-t-il une souveraineté pour la Nouvelle-Calédonie ?
    B.M : « L’État qui serait mis en place serait un vrai État, qui peut être considéré comme étant souverain, qui peut être reconnu par d’autres États, qui peut rentrer à l’ONU. Et cet État souverain fait le choix souverain de confier certaines de ses compétences à un État tiers qui, pour assurer ses compétences, intègre dans sa constitution à lui, donc la Constitution de la République française, ses rapports avec ce nouvel État. Mais ces compétences appartiennent à l’État néo-calédonien. Et si demain il veut les récupérer, selon une procédure cadrée par les accords, avec une majorité qualifiée au Congrès de Nouvelle-Calédonie (36 voix sur 56, ndlr), il peut les récupérer. Donc c’est vraiment une indépendance-association.« 

    Ce compromis ne semble-t-il pas déséquilibré en faveur des indépendantistes ?
    B.M : « On a le sentiment que les indépendantistes ont gagné en rase campagne mais ce qu’obtiennent les loyalistes, c’est tout bêtement des capacités de blocage. La majorité qualifiée, le corps électoral glissant qui est censé les avantager à moyen terme, et la meilleure représentation (au Congrès, ndlr) de la province Sud qu’ils tiennent… Leur idée est de rééquilibrer le rapport de force en leur faveur, pour leur permettre de bloquer un processus qui est une indépendance de droit mais qui peut devenir, si jamais la défense, la monnaie, la justice, la police devaient être transférées au nouvel État calédonien, une indépendance de fait. Si je veux caricaturer, les indépendantistes proposent de se satisfaire au moins pour l’instant d’une indépendance en droit qu’avalent les loyalistes qui, eux, acceptent l’indépendance de droit mais en essayant de maintenir une absence d’indépendance de fait.« 

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    Ce nouveau statut ne risque-t-il pas de figer une situation coloniale ?
    B.M : « La principale critique qu’on peut faire en droit à cet accord, c’est qu’on consacre le fait que la France demeure une puissance coloniale. La promesse de la décolonisation, c’était soit vous êtes un territoire ultramarin et vous voulez rester français, et donc on vous intègre dans le droit commun. Soit vous voulez l’indépendance et vous l’obtenez, vous devenez un État souverain. L’entre-deux colonial est considéré comme étant en soi un problème, quelque chose qui relève d’une erreur de l’Histoire. Là, on maintient ad vitam aeternam, d’une certaine façon, jusqu’à ce que la Nouvelle-Calédonie veuille assumer une indépendance si elle le souhaite un jour, un statut colonial un peu différent. Disons qu’on passe d’un statut qui était un statut d’une colonie classique à un statut qui est un statut plus de protectorat.« 

    Ce nouveau statut changera-t-il la place de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU ?
    B.M : « Oui et non. C’est-à-dire que c’est un territoire qui est souverain, donc qui n’est plus vraiment un territoire colonial, mais qui en même temps dépend pour tout un tas de ses compétences d’un autre État (…) et qui donc demeure une colonie (…) Si je suis l’ONU, je dis que c’est une étape vers une vraie décolonisation. Mais encore faut-il que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le veuille. » 

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