Réunis à La Haye, les juges de la Cour internationale de Justice (CIJ) ont rendu leur tout premier avis consultatif (AO) sur les obligations légales des États face au réchauffement climatique. Dans cette décision qualifiée de « décision historique », la plus haute juridiction des Nations unies a décrit le changement climatique comme une « menace urgente et existentielle » , rapporte l’AFP
Cette procédure a été déclenchée sous l’impulsion du Vanuatu, petit État insulaire particulièrement vulnérable, et soutenue par d’autres nations du Pacifique. L’ONU avait demandé à la CIJ de répondre à deux questions : « Quelles obligations les États ont-ils en vertu du droit international pour protéger la Terre contre les émissions de gaz à effet de serre ? » et « Quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations, lorsque les États, “par leurs actes et leurs omissions, ont causé des dommages importants au système climatique” ? »
La deuxième question pointe explicitement la responsabilité des États pour les dommages causés aux « petits pays, plus vulnérables », notamment ceux menacés par « l’élévation du niveau des mers et par des conditions météorologiques difficiles dans des régions comme l’océan Pacifique ».
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Des archipels sous pression qui deviennent des laboratoires d’innovations
Handicapées par « leur isolement et leur manque de poids économique », les nations insulaires du Pacifique se sont pourtant imposées comme « des leaders mondiaux dans la lutte contre la crise climatique ». Face à l’urgence, elles ont mis en place ou renforcé cinq grandes mesures, dévoilées par l’AFP depuis Sydney.
La première est symbolique et technologique : aux Tuvalu, où « deux des neuf atolls coralliens de l’archipel ont déjà été en grande partie engloutis par la mer », les autorités ont lancé l’élaboration « minutieuse » d’une « carte en 3D des terres qui leur restent ». Objectif : devenir « la première “nation numérique” du monde ». Si la montée des eaux devait submerger totalement le territoire, les Tuvalu espèrent ainsi « laisser une reconstitution numérique interactive et détaillée de ce qui a été ».
Deuxième mesure : l’achat de terres extérieures comme plan de secours. « En 2013, Anote Tong, alors président de la république des Kiribati, avait acheté une importante parcelle de terre dans les îles Fidji voisines, avec pour but d’en faire un sanctuaire pour ses 100 000 citoyens menacés par le changement climatique » . « Nous espérons ne pas regrouper tout le monde sur un même terrain, mais si cela s’avérait absolument nécessaire, oui, nous pourrions le faire » , expliquait M. Tong un an plus tard.
Entre exploitation des ressources et solidarité migratoire
La troisième stratégie, plus controversée, concerne « l’exploitation minière ». « Des pans entiers de fonds marins de l’océan Pacifique sont tapissés de nodules polymétalliques », riches en cobalt, nickel, manganèse et terres rares. « Des nations comme Nauru ou les îles Cook souhaitent autoriser l’exploitation de ces nodules dans leur espace maritime. » Le but : financer leur développement et contribuer à la transition énergétique mondiale, car ces métaux sont « utilisés pour fabriquer des batteries rechargeables et d’autres technologies « vertes » nécessaires pour décarboniser la planète. » Mais « l’idée est loin de faire l’unanimité » : Fidji et les Palaos militent pour leur interdiction, craignant des impacts irréversibles sur les écosystèmes marins.
Quatrième réponse : la solidarité migratoire. En 2024, les Tuvalu ont signé « un pacte novateur avec l’Australie », baptisé « Union Falepili », qui prévoit chaque année « un visa à 280 citoyens tuvaluans » sous forme de « visas climatiques spéciaux ». Ce dispositif suscite un vif intérêt : « Plus de 3 000 Tuvaluans se sont enregistrés pour le premier tirage de 2025 », soit près d’un tiers de la population de l’archipel, qui compte environ 10 000 habitants.
Enfin, cinquième mesure : le « recours en justice ». À l’initiative du Vanuatu, soutenu par d’autres États insulaires, l’ONU a saisi la CIJ afin de clarifier la responsabilité juridique des pays émetteurs. Cette action inédite vise à ouvrir la voie à des « réparations climatiques », pour compenser les dégâts déjà causés aux pays les plus fragiles.
Vers une nouvelle étape du droit international ?
En qualifiant le changement climatique de « menace urgente et existentielle », la CIJ donne une portée juridique inédite à la lutte climatique. Les États ne peuvent plus se retrancher derrière des engagements vagues : ils ont désormais, selon l’avis de la Cour, des « obligations en vertu du droit international pour protéger la Terre contre les émissions de gaz à effet de serre ».
Face à la montée inexorable des eaux et à la multiplication des catastrophes climatiques, les îles du Pacifique ne se contentent pas d’alerter : elles expérimentent des solutions concrètes, parfois audacieuses, pour protéger leurs territoires, leurs populations et leur culture. Malgré leur vulnérabilité, ces petites nations sont devenues « des leaders mondiaux dans la lutte contre la crise climatique » , conclut l’AFP.