À Rangiroa, Ruaruhina Teariki Chonon nous accueille dans son fare pōte’e, trônant au milieu du jardin. Le récif brise les vagues, qui résonnent à l’ombre des ’uru, tandis qu’elle retrace le chemin qui l’a menée jusqu’à la terre de ses ancêtres, là où elle a enfin trouvé sa place dans le monde.
Retour difficile
Ruaruhina Teariki Chonon a grandi à Tahiti où elle a fait ses études et cherché sa voie.
« Mon papa est de Tahiti mais ma mère est des Tuamotu. Tous mes ancêtres paumotu sont de grands propriétaires fonciers éparpillés dans de nombreux atolls. Je suis revenue sur Rangiroa il y a 10 ans. J’entendais mes ancêtres m’appeler à revenir sur ma terre pour l’entretenir, la valoriser, planter… donner avant de prendre.»
Là-bas, Rua ne rencontre pas l’accueil escompté :
«Quand tu as grandi en ville et que tu reviens sur ta terre ancestrale, tu n’es pas forcément accueilli par ta famille sur place. Au début, ils croient que tu viens en vacances. Mais quand ils voient que tu reviens pour planter tes racines, les litiges commencent… »

Cela lui donne l’occasion de reformuler son appartenance au lieu.
« Je pense que quand on sait qui on est, quand on a hérité de nos ancêtres, personne ne peut nous retirer ces biens. C’est une vraie richesse de connaître ses ancêtres et leur histoire. Surtout, cela permet de pouvoir prendre ta propre pirogue et de continuer ce chemin qu’ils ont commencé à faire et qu’ils t’ont laissé.»
N’ayant pas grandi à Rangiroa, Rua doit faire ses preuves et légitimer sa place. Elle fait le choix de la nature :
«J’ai planté des arbres forestiers, des citronniers, des manguiers, des avocatiers… J’ai participé avec ma petite famille à la régénération des crabes de cocotier.
Venir ici, c’était compliqué mais aussi libérateur. Pour chaque grande chose, il y a des sacrifices à faire, des cheminements qui sont difficiles mais qui doivent être faits pour te révéler et te faire avancer. »
Aujourd’hui, notre Paumotu vit sur son île ancestrale et y a construit sa maison :
« Mon mari et moi avons construit le fare pōte’e, en mettant en pratique le savoir-faire des anciens, des connaissances partagées par le grand-père Maihea Tepehu.»
S’ancrer, enfin…
« Avant, je n’avais pas de terre d’ancrage : à Tahiti, il y a la terre, mais tu n’as pas la même énergie en toi parce qu’on est modernes. Il y a des immeubles, des clôtures…En plantant sur ma terre ancestrale, je me suis dit : on est milliardaires ! Il y a un potentiel énorme.
Beaucoup de gens, aujourd’hui, se disent : on a des terres, on va vendre. Mais il faut les valoriser : il y a plus à gagner en y travaillant.»

Riche de ce patrimoine, la vahine nous invite à ouvrir les yeux sur nos îles :
« Le matin quand je suis sur les motu, je remercie mes ancêtres d’avoir guerroyé, d’être venus jusqu’ici pour qu’aujourd’hui, je puisse reprendre cette relève. J’aimerais que ça inspire d’autres enfants polynésiens, qu’ils n’aient pas peur de revenir sur leurs terres et de tout quitter pour tout recommencer. Je sais qu’en lâchant l’ancien, le nouveau ne peut être que meilleur. »
Tourisme et patrimoine
Pour mettre en valeur ces richesses, Ruaruhina a choisi le tourisme, un domaine qu’elle connaît puisqu’elle a notamment travaillé sur l’Aranui et qui lui permet de soutenir les artisans locaux.
« Avant, ici, il y avait des grands-mères à l’aéroport à chaque départ ou arrivée d’avion. Elles t’appelaient pour venir voir leurs créations de coquillages. On avait accès au savoir-faire. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je crois que c’est ça qui me donne cette force de vouloir persévérer. »
Rua décide alors de devenir actrice du tourisme et entreprend de numériser les connaissances des aînés : histoires des vallées, techniques de pêche…

« C’est ma revanche : c’est grâce aux mama et à l’artisanat que je suis devenue agent maritime pour les super yachts. Les touristes viennent à Rangi et je leur propose une immersion culturelle pour découvrir une île, qui est pour moi, un havre de paix, sans guerre, sans problème… Je leur offre un moment de quiétude avec la famille, l’authenticité d’une vie simple, sans artifice. »
Ainsi, Ruaruhina Teariki Chonon parvient non seulement à retrouver ses racines mais aussi à partager tous les savoirs ancestraux.
« Ma philosophie, c’est le partage: le cycle continue de tourner et de se transmettre. Il faut le respecter. »