Originaire d’une vallée reculée de l’île Ua Pou aux Marquises, Rihi Teikitutoua est aujourd’hui artisan à Tahiti et vit de son art. Hommes de Polynésie dresse le portrait de ce marquisien réservé, qui s’exprime à travers la danse et la sculpture.
Si sa voix discrète traduit un caractère introverti, ses tatouages et ses boucles d’oreilles en os rappellent fièrement ses origines marquisiennes.
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Une enfance aux Marquises
C’est sur son île natale de Ua Pou que Rihi découvre la sculpture.
« Je vivais dans une vallée éloignée, et j’ai dû partir pour être pensionnaire très jeune. On ne pouvait pas rentrer tous les week-ends, alors pour nous occuper, Jean Kautai, un sculpteur très réputé aux Marquises, nous faisait des ateliers. Il nous montrait le gros œuvre à l’époque. Mon père sculptait aussi pour son plaisir des tambours, des pirogues, mes oncles aussi. »

Mais l’enfant d’alors est davantage attiré par un autre art.
« J’étais beaucoup plus intéressé par le dessin à l’époque. On dessinait tous beaucoup au pensionnat. »
Arrivée à Tahiti
À 15 ans, Rihi Teikitutoua quitte son archipel pour poursuivre un BEP, puis un bac pro à Tahiti dans les domaines de l’électroménager et de la maintenance en équipement industriel.

« On nous orientait dès le collège. Mais ces filières ne m’ont pas intéressé, j’ai eu mon bac, mais je n’ai pas aimé. »
Des petits boulots
Après ses études, il enchaîne les petits emplois : sondeur, étalagiste… Rihi tente de rentrer dans l’armée, puis au Centre des Métiers d’Art (CMA), mais n’est pas retenu.
« J’aimais bien dessiner, mais mon projet pour le CMA n’était pas assez construit à l’époque. J’y allais un peu comme ça, il fallait être vraiment motivé pour être pris. »
S’exprimer par la danse
Si son projet d’intégrer le CMA ne passe pas cette fois-ci, Rihi vibre pour une passion qui a toujours été ancrée en lui : la danse marquisienne.

« J’adore la danse, elle me permet de m’exprimer. J’ai fait partie de plusieurs groupes et j’ai eu l’occasion de voyager, et notamment d’aller à plusieurs reprises au festival de l’île de Pâques, le Tapati, c’est vraiment unique. Les Rapa Nui sont très fiers de leur culture, cela m’a marqué. »
Le tatouage
C’est d’ailleurs grâce à la danse que le marquisien découvre un autre art : le tatouage.
« Le chef de mon groupe de danse avait un studio de tatouage, il m’a pris comme assistant, je le regardais faire. Cela m’a permis d’apprendre les différents motifs polynésiens et marquisiens, et leurs significations. »

Séduit par cette pratique, Rihi envisage même de devenir tatoueur, mais renonce finalement.
« Pour être tatoueur, il faut investir dans des machines et se démarquer des autres, car il y en a déjà beaucoup. J’ai fait des demandes de financements, mais ça n’a pas fonctionné. »
Et surtout, une autre envie s’impose à lui…
Le Centre des Métiers d’Art
« À l’époque, j’habitais vers Mamao et je passais devant le Centre des Métiers d’Art tous les jours, cela m’a donné envie de tenter de nouveau le concours. »
Mieux préparé et très motivé, il se présente avec un book de dessins, un vrai projet et réussit cette fois l’examen d’entrée. Il intègre la section sculpture pour deux années de formation. En 2021, il en sort diplômé.

« J’ai appris beaucoup de choses, de technique, la façon d’utiliser les outils, les gouges, les meuleuses, mais aussi les logiciels en 3D. Ce n’est pas facile, mais au final, ça aide beaucoup, c’est plus rapide que de faire des croquis sur un carton. J’ai aussi énormément appris sur la culture polynésienne et sur ma culture marquisienne. »
Fort de toutes ces compétences et de ces nouveaux savoirs, Rihi franchit le pas. En 2024, il prend une patente et lance sa marque Enana Art. Un nom qui rappelle ses origines marquisiennes.
Un rapport à la pierre
« Je fabrique toutes sortes d’objets en bois, en pierre, des bijoux… J’aime travailler le bois, mais encore plus la pierre. J’avais fait un stage avec Teva Victor, cela m’a marqué, car il a un vrai rapport à la pierre. Maintenant, je comprends qu’il faut parler à la pierre avant de la sculpter. Il se passe quelque chose avec la pierre, il faut lui demander si on peut la sculpter. J’ai envie maintenant d’aller plus loin, de créer mon propre style. »
Un dialogue silencieux avec la pierre. Rihi Teikitutoua a trouvé sa voie et sa voix…
©Photos : Pauline Stasi pour Hommes de Polynésie