Présentée par les deux sénateurs de Polynésie -Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch-, adoptée à l’unanimité au Sénat, et désormais aux mains de l’Assemblée nationale, les « tavana » soutiennent cette proposition de loi organique (PPLO) qui clôt, si elle venait à être adoptée, un travail de longue haleine qui aura duré une quinzaine d’année.
Cette PPLO, expliquent-ils, leur permettra -comme l’ensemble des maires de France qui ont la clause générale de compétences- de mener des « actions » en matière d’aides sociales, d’urbanisme et d’aménagement de l’espace, de culture et patrimoine local, de jeunesse et de sport, de protection de l’environnement, de maîtrise de l’énergie, de politique du logement et de politique de la ville. Des compétences, sur le papier, réservées au gouvernement local. Mais dans la pratique, l’éparpillement oblige les maires à souvent prendre leur responsabilité, malgré le risque juridique encouru.
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« La seule chose que les communes veulent, c’est la possibilité de mener des actions. L’intervention, c’est la possibilité de mener des actions » explique Cyril Tetuanui, maire de la commune de Tumara’a sur l’île de Raiatea, et président du Syndicat pour la Promotion des Communes de Polynésie (SPC). « On informe le pays, mais si le pays ne veut pas accompagner l’action de la commune, la commune peut continuer ».
La PPLO, qui crée localement des débats, introduit aussi la nécessité d’informer le président du gouvernement polynésien, le président de l’Assemblée territoriale et le Haut-commissaire de la République. « Tout ça doit se faire dans le respect de la réglementation de la Polynésie. Mais les communes, dorénavant, sont libres de pouvoir mettre des initiatives au service de la population », insiste l’édile.
« Il y a des compétences que l’on exerce, mais c’est illégal » rappelle Yseult Butcher, maire de l’atoll de Hao aux Tuamotu, soulignant le besoin de protection juridique des maires qui ne peuvent pas toujours attendre le Pays pour agir auprès des populations les plus éloignées. Sur un territoire de 118 îles, cinq archipels éparpillés sur une surface grande comme l’Europe, « on comprend que le Pays ne peut pas tout faire, partout ».
« Il y a quand même des compétences qu’on exerce aujourd’hui, ce qui est illégal par rapport à la loi » ajoute la maire de l’atoll qui cite le social, le sport ou la culture. « Ce n’est pas seulement on veut plus de compétences, c’est qu’on l’exerce actuellement. (…) On subventionne des associations sportives et on veut être couvert juridiquement ».
Aux îles Marquises, la maire de l’île de Hiva Oa, Joëlle Frébault, sait déjà le projet qu’elle souhaite mettre en place : celui du premier musée des arts traditionnels des Marquises. Un projet culturel traditionnel dévolu au Pays. « Ça fait deux ans que je suis sur ce projet, que le Pays me bloque et je n’arrive pas à avancer », regrette-t-elle. « Deux grands musées, de Bâle et de Cambridge, sont venus à nous il y a deux ans pour proposer de restituer 200 pièces marquisiennes, le tout gratuitement ». Si la PPLO est adoptée le 10 décembre, « la commune de Hiva Oa pourra prendre en charge le musée ». « On va commencer notre projet parce qu’il faut qu’on le fasse, il est important pour nous. Ce sera un plus pour les six îles de l’archipel et pour le tourisme », insiste-t-elle.
À Rapa, l’île la plus au sud du territoire, « nous serons preneurs pour exercer les compétences avec bien évidemment la protection juridique », assure le maire Tuanainai Narii. « C’est ce qu’attendent pratiquement toutes les communes. On organise plein de manifestations qui sont des compétences du Pays. On fait comme on peut. Heureusement qu’il n’y a pas tous les quatre matins des intervenants au tribunal. C’est ça, c’est ce qu’on risque. À partir du moment où les services du Pays sont absents, on est obligé de le faire ».
« Pas contre Moetai Brotherson »
Du côté de l’exécutif local, un projet de loi de Pays a été présenté, mais jugé très vite défavorable par les maires car elle introduirait, selon eux, de nouvelles contraintes à l’exercice des compétences et toujours une mainmise du Pays sur les communes. « Toutes les actions devraient faire l’objet d’une convention obligatoire. Si le Pays refuse, la commune ne peut rien faire », regrettent les élus. « On revient à une logique, ancienne (…), un processus administratif lourd et lent » et un « veto total ».
Dans une vie politique marquée par les divergences entre indépendantistes et autonomistes, les maires se défendent d’être en opposition au gouvernement indépendantiste actuellement aux affaires. Ils rappellent également que la lettre signée par 47 des 48 maires de Polynésie, demandant davantage de compétences, datait d’avant les territoriales de 2023, et que le parti indépendantiste avait inscrit dans son programme la possibilité d’octroyer des compétences aux communes.
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« C’est un débat qui n’est pas contre Moetai Brotherson » assurent-ils. « C’est un débat qui dure depuis 2010, et qui n’est pas « autonomie contre indépendance » ». Les maires pointent davantage la centralisation de l’administration polynésienne sur Tahiti, et rappellent qu’en 2019, une première modification de l’article 43-2 du statut de la Polynésie avait ouvert la voie à l’élargissement des compétences, en enlevant l’obligation de transfert des moyens. Il s’agissait donc, pour eux, d’agir après quelques années d’attente depuis 2019.
Lors de son passage en commission, la PPLO a été soutenue par la majorité des groupes. Seuls les quatre groupes de gauche ont voté contre le texte. Sauf surprise, elle devrait pouvoir passer l’étape de l’Assemblée nationale, le 10 décembre. Soutenue aussi par le gouvernement Lecornu, elle devrait très vite entrer en application après son adoption. De son côté, si la PPLO est bien adoptée, la loi de Pays présentée par le gouvernement Brotherson tombera.



