“Le tribunal a à juger une autre époque”. La procureure a résumé, à sa manière, le dossier. Celui de la construction de “l’immeuble GIP” à Papeete, sorti de terre aux débuts des années 2000. Un bâtiment censé permettre à 30 familles de membres du Groupement d’Intervention de Polynésie (GIP), souvent présenté comme la garde rapprochée de l’ex-président Gaston Flosse, de devenir propriétaires d’un appartement.
Pour ce faire, leur chef de l’époque, “Rere Puputauki, a créé la SCI “Amicale des Marins II” avec ses 30 subordonnés, devenus associés dans le projet. Un chantier d’un coût total d’environ 350 millions de francs qui a bénéficié, en 2003, d’une subvention de l’OPH de l’ordre de 160 millions de frrancs.
– PUBLICITE –
“C’était quand même une aubaine que des privés investissent pour avoir des logements sociaux”, a fait valoir, ce mardi, le directeur général de l’Office à l’époque, Nick Toomaru.
Un arrêté pris par le gouvernement en 1999 le permettait en effet. Mais là où le bât blesse, c’est que le dossier n’entrait apparemment pas dans les clous. Notamment en raison de la superficie des appartements, trop vastes pour être éligibles à un soutien financier sur fonds publics.
Devant les enquêteurs, le directeur technique de l’OPH, poursuivi lui aussi dans l’affaire, avait d’ailleurs relevé le problème. Il avait estimé que le dossier avait été “traité plus vite qu’habituellement”, car “appuyé en haut lieu”, et qu’il devait “absolument passer favorablement en commission”. Mais à l’audience, l’intéressé a rétropédalé : “C’était la fin de l’audition… Je devais être fatigué”.
“A l’époque, tout paraissait conforme. Le dépassement de surface n’a pas été porté à ma connaissance”, a assuré pour sa part Nick Toomaru, se présentant comme un simple ”exécutant” des décisions du Conseil d’administration de l’Office.
Mais en garde à vue, l’ex-directeur général avait confié avoir “eu des directives de Monsieur Bouissou -le ministre du Logement de l’époque- pour étudier favorablement le dossier”. “Favorablement, ça peut vouloir dire bienveillance”, a relevé le président. “Pour moi, il n’y avait pas d’élément particulier (…) Je suis étonné que l’on me reproche des choses”, a éludé Nick Toomaru.
L’ancien patron du GIP a, lui, expliqué avoir “peiné pour mettre en place une SCI pour que les marins de la Flottille aient au moins un logement”. Et la situation ne s’est pas arrangée puisque certains des occupants ont rapidement arrêté de rembourser leurs prêts. “C’est Oscar Temaru qui leur a dit ça au Taui” en 2004, a soufflé l’ancien patron des hommes en rouge.

“Rere Puputauki” est aussi accusé, dans un autre pan du dossier, d’avoir puisé à sa guise dans les caisses de la SCI dont il était le gérant, sans tenir la moindre comptabilité. Mais aussi d’avoir loué pour son compte un appartement appartenant à sa fille et d’en avoir prêté un autre gratuitement pendant 5 ans à l’un de ses fils, également renvoyé au procès.
“Il y a au moins 51 millions de francs qui sont passés du côté de votre famille”, lui a fait remarquer le président du tribunal. “Je pense que les calculs ne sont pas bons (…) Est-ce qu’on a décompté l’entretien, les factures d’eau et d’électricité et les travaux qu’il y a eus dans l’immeuble ? Il fallait payer entre 250 et 300 000 francs tous les mois”, a-t-il rétorqué.
Son avocat, Me Edouard Varrod, est allé dans le même sens pour réclamer la relaxe de son client : ”Il n’est pas poursuivi pour les 50 millions évoqués, mais pour avoir prétendument détourné 6 millions de loyers en espèces. Mais jamais les enquêteurs ne se sont penchés sur les charges de l’immeuble. Personne ne peut affirmer que parce qu’il n’a pas tenu de comptabilité, il a pris de l’argent. Les gendarmes n’en n’ont jamais apporté la preuve”.
Du côté des parties civiles, l’avocate de deux des occupants, Me Marie Efftimie-Spitz, a expliqué que ses clients avaient entamé une procédure devant le tribunal civil pour obtenir des dommages et intérêts. “Aujourd’hui, la SCI a été liquidée et le bâtiment est au bord de l’effondrement”, a-t-elle déploré avant de cibler l’ex-chef du GIP qui “a pris tout l’argent qu’il pouvait”.
L’OPH s’est également constitué partie civile au procès pour obtenir le remboursement de la subvention de 160 millions de francs. “Ce projet n’aurait pas dû être éligible (…) Il y avait des instructions qui venaient de plus haut, c’est évident (…) On connait tous les relations entre Monsieur Flosse et Monsieur Puputauki. C’étaient des copains. Ça sent le détournement de fonds publics à plein nez (…) Tout ça a été fait sur l’instruction d’un ministre qui a créé l’arrêté de 1999”, a lancé Me Gilles Jourdainne.
Un avis partagé par la procureure : “A l’évidence, il fallait que ce dossier passe et il est passé (…) Peut-être qu’il y a des commanditaires qui manquent à l’appel aujourd’hui”.
Pour ce qui est de Léonard Puputauki, suspecté d’avoir détourné “des sommes effarantes” et d’être “au cœur de ce grand fiasco”, la magistrate à requis une peine de 3 ans de prison dont une année ferme, ainsi qu’une amende de 5 millions de francs.
Elle a demandé 2 années de prison avec sursis contre Nick Toomaru et un an avec sursis contre l’ancien directeur technique de l’OPH. Quant au fils de l’ex-chef du GIP, elle a requis à son encontre 6 mois avec sursis et une amende de l’ordre de “3 à 4 millions” de francs. Le tribunal a mis son jugement en délibéré au 28 octobre.