Tahiti Nui Télévision : On craint la disparition des langues polynésiennes. En parler, c’est participer à leur sauvegarde ?
Jacques Vernaudon, professeur de linguistique à l’UPF et directeur de la Maison des Sciences et de l’Homme du Pacifique : « Oui, bien sûr. Et puis, parler également de leur histoire, de leurs liens avec toutes les autres langues du Pacifique, pour montrer à quel point elles sont porteuses d’un patrimoine qui est multimillénaire et qui raconte aussi une histoire qui s’étend depuis l’Asie jusqu’à nos îles. Donc, je pense que oui, ça participe à leur valorisation. »
TNTV : Alors, justement, vous venez de le dire, les langues polynésiennes font partie d’une immense famille linguistique et culturelle aux origines asiatiques qui s’étend de Madagascar jusqu’à l’île de Pâques. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Jacques Vernaudon : « Quand on dit que des langues appartiennent à la même famille, ça veut dire qu’elles sont issues d’une seule langue mère. Donc, à travers la dispersion des navigateurs et navigatrices qui ont peuplé le Pacifique, ces langues se sont ensuite diversifiées, mais à partir d’une souche commune. Et donc, aujourd’hui, on peut reconstruire cette langue mère, on peut établir les liens entre les langues qui sont parlées aujourd’hui dans le Pacifique, y compris avec des langues qui ne ressemblent pas aux langues polynésiennes. C’est-à-dire que c’est l’intérêt de la science de révéler des liens entre des langues qui, à vue d’œil, ne se ressemblent pas. »
TNTV : Alors, c’est le proto-polynésien, c’est bien ça ?
Jacques Vernaudon : « Alors, le proto-polynésien est la langue mère à l’origine des 40 langues polynésiennes. Et au-dessus -quand je dis au-dessus, c’est un point de vue historique- il existe des états de langues encore plus anciens. Et donc, la langue commune à toutes les langues qui sont parlées, donc celle dans la région que vous avez citée, c’est le proto-ostronésien qui était parlé probablement, il y a plus de 5 500 ans à Taïwan. »
TNTV : Alors, comment peut-on effectuer des recherches sur une langue qui est très ancienne alors qu’il n’existe pas d’écrit ?
Jacques Vernaudon : « Alors, c’est tout l’enjeu. C’est en fait à travers la comparaison des langues contemporaines, et c’est ce que j’expliquerai demain, que l’on peut d’abord prouver la proximité des langues. Je vais donner juste un exemple. En paumotu pour dire que l’oreille, c’est Taringa. En tagalog, la langue qui est parlée aux Philippines, c’est Talinga. Les yeux, c’est Mata en tagalog, et c’est Mata dans les langues polynésiennes. Donc, la proximité permet de révéler leur parenté, mais aussi de faire des hypothèses sur la langue à l’origine. Si vous avez Mata en tahitien et Mata en tagalog, il y a de fortes probabilités que le mot ait été déjà Mata il y a 5 000 ans. »
TNTV : Alors, dans votre conférence, vous parlez aussi des enjeux de transmission. Aujourd’hui, quels sont les plus grands dangers qui menacent nos langues ?
Jacques Vernaudon : « D’abord, qu’elles ne sont pas suffisamment parlées par les familles aux enfants. C’est-à-dire que la masse de l’exposition à d’autres langues, au français, à l’anglais, etc., fait que les langues polynésiennes ne sont pas pratiquées en famille. Aujourd’hui, on a également les médias sociaux qui font que les enfants se tournent vers d’autres langues. Donc, l’enjeu, c’est tout simplement, c’est assez simple, mais après, il faut le mettre en pratique, c’est que les gens qui parlent les langues polynésiennes parlent ces langues à leurs enfants. »
TNTV : Est-ce que les écoles bilingues communes en Nouvelle-Zélande, c’est une solution ?
Jacques Vernaudon : « Oui, c’est déjà appliqué ici. Il y a en Polynésie aujourd’hui des écoles qui sont dans ce type de dispositif. Donc oui, ça fait partie des solutions pour revitaliser les langues, mais il faut aussi que les adultes qui sont locuteurs de ces langues les parlent aux enfants, tout simplement. »
TNTV : Alors, dernière question, est-ce que parler sa langue, c’est une autre façon d’affirmer son identité ?
Jacques Vernaudon : « Oui, ça participe à la construction de l’identité, parce que chaque langue véhicule un patrimoine culturel, une manière d’organiser le monde. Et parler plusieurs langues, c’est être enrichi de cette diversité humaine, en fait. Et donc, on a une très grande richesse ici, c’est-à-dire qu’il y a plusieurs langues qui sont pratiquées, qui sont encore transmises, et il faut continuer dans cette voie de la valorisation de la diversité des langues.«
PRATIQUE
Conférence Langues polynésiennes et Histoire
Jacques Vernaudon
Vendredi 3 octobre
Salle philanthropique, Papeete
18h
Gratuit et ouvert à tous