Sémir Al Wardi après la démission de Bayrou : « Pas de problème pour la Polynésie, les transferts se maintiendront”

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    Politologue et professeur des universités, Sémir Al Wardi était hier l’invité de notre journal. Il est revenu sur la crise politique actuelle en France, sur ses conséquences possibles pour la Polynésie française, et les enjeux régionaux dans le Pacifique, notamment face à la montée en puissance de la Chine.

    TNTV : Samir Al Wardi, bonsoir. Merci d’être avec nous ce soir. Vous êtes politologue et professeur des universités. Alors on vient de le voir, François Bayrou a perdu son pari. En neuf mois, deux Premiers ministres sont tombés successivement. Est-ce qu’on peut dire que la crise politique s’installe durablement en France ?

    Sémir Al Wardi :En fait, la crise politique en France a commencé à s’installer à partir du moment où le président de la République a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale l’an passé. Il est évident que c’était une décision qui n’a pas été comprise, ni d’ailleurs par son gouvernement de l’époque, ni par le peuple français. Et dès lors, on se retrouve avec aucune majorité et des extrêmes qui s’affrontent de façon brutale. Donc on est parti pour un bon moment où il reste à peine 18 mois pour les élections présidentielles. Et donc de trouver une coalition, ce sera très difficile pour une raison très simple : c’est que la Ve République, c’est un système majoritaire, et que donc les partis politiques en France n’ont pas la culture de la coalition, contrairement à l’Allemagne ou à d’autres pays en Europe. Dès lors, ils s’entendent très difficilement et n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un plan, un programme de gouvernement.”

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    TNTV : Il ne faudrait pas passer à une Sixième République ?

    Sémir Al Wardi : “Alors, ce n’est pas la question de toute façon maintenant, mais le président de la République avait deux solutions : soit il prononçait la dissolution, soit il nommait le Premier ministre. Or, il a déjà balancé son communiqué, il nomme un Premier ministre. Pour le moment, parce qu’après, il peut changer, évidemment, de décision. C’est-à-dire qu’il n’y aura pas d’élection, mais il faudra qu’il trouve un Premier ministre qui puisse tenir encore au moins les 18 mois.”

    TNTV : Alors, qui pour faire consensus ? Les prétendants ne manquent pas ?

    Sémir Al Wardi :Alors, les prétendants ne manquent pas. De Gaulle avait déjà dit à l’époque que le nombre de personnes qui voulaient le remplacer était quand même assez important. Les prétendants ne manquent pas, mais en même temps, c’est un piège. Parce qu’à 18 mois d’une élection présidentielle, celui qui va devenir Premier ministre, est-ce qu’il ne risque pas, justement, après, d’échouer à la présidentielle ? Parce qu’on pense toujours à ça. Les dirigeants des partis politiques, quand ils accèdent au pouvoir, ils ont derrière, évidemment, une carrière politique à terminer.”

    TNTV : 18 mois et la démission d’Emmanuel Macron, c’est en tout cas ce qu’on entend par les Français majoritairement. Et certains de nos députés ne s’en sont pas cachés non plus. Est-ce que, sous la pression populaire, ce scénario pourrait être envisagé ?

    Sémir Al Wardi :Absolument pas, parce que le Président de la République va terminer son mandat. 18 mois, de toute façon, c’est très court. Et quels que soient les événements, notamment ceux du 10 septembre, qu’il y ait blocage ou pas, le Président de la République est le seul à pouvoir décider et il restera, certainement.”

    TNTV : Alors, en attendant, le travail parlementaire est à nouveau suspendu, freiné par ce renversement. Quelles conséquences, selon vous, pour la Polynésie, pour les dossiers polynésiens ?

    Sémir Al Wardi :Alors, il faut comprendre qu’il y a une continuité d’État. Donc, ça veut dire que tous les transferts qu’il y a de métropole à la Polynésie française vont être maintenus. Tous les différents contrats seront maintenus. Donc, pour la Polynésie française, il n’y a pas de problème. Les échanges et les transferts se maintiendront. En revanche, si on parle de l’Océanie, le problème va se poser pour la Nouvelle-Calédonie. L’accord de Bougival a été publié dans le Journal Officiel. Bon, ça ne veut pas dire grand-chose. Tout simplement parce qu’il y a toute une continuité : il y a la loi constitutionnelle, la loi organique, etc. Et aujourd’hui, tout dépend qui sera ministre de l’Outre-mer, qui sera Premier ministre. Quelle voix sera donnée, justement, à la Calédonie ? Parce que s’il y avait eu un consensus global sur les accords de Bougival, il n’y aurait pas eu de problème. Mais maintenant, on sait que l’UC est absolument contre la FLNKS. Et donc, le nouveau pouvoir pourra très bien recommencer à discuter, à peut-être faire sauter quelques verrous qui ont beaucoup déplu au FLNKS. Donc, on peut se retrouver avec une nouvelle négociation. Moi, je vous le dis très clairement, on sait très bien qu’en Calédonie, passer en force, ça ne marche pas. Ça entraîne les émeutes de l’année dernière. Et donc, Manuel Valls avait l’intention de passer plus ou moins en force maintenant, ce qui n’était pas tout à fait recommandable. Et on verra quelle est l’attitude, justement, du nouveau gouvernement.”

    TNTV : Manuel Valls pourrait-il être reconduit ? C’est en tout cas, ici, en Polynésie, le souhait des élus. On l’a entendu dans le reportage.

    Sémir Al Wardi : Il peut être reconduit. Cela dépend évidemment du président de la République et du Premier ministre. C’est eux qui décident ensemble.
    Mais Manuel Valls ne dispose pas derrière lui d’un appareil politique, contrairement à d’autres. Et c’est pour cela qu’il est dans une position de faiblesse
    .”

    TNTV :  Très bien. Alors, on a parlé de l’accord de Bougival. J’aimerais vous poser une autre question, c’est Myrelle Wordy. Sur un autre sujet, le Forum des îles du Pacifique s’est ouvert ce matin. 18 dirigeants océaniens participent à ce sommet. Au cœur des discussions, notamment les enjeux géostratégiques. Peut-on réellement peser face aux géants chinois ?

    Sémir Al Wardi :  “Alors, je dirais deux choses. D’abord, ça se passe aux îles Salomon. Les îles Salomon se sont rapprochées beaucoup de la Chine et ont été rappelées à l’ordre plusieurs fois par les autres États du Forum des îles du Pacifique. Face à la Chine, deuxièmement, il y a l’Indo-Pacifique. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et bien sûr la Polynésie française font partie de cet Indo-Pacifique. Donc, normalement, l’idée du Forum des îles du Pacifique, c’est une troisième voie. C’est ce qu’on appelle en anglais le hedging. Hedging, ça veut dire qu’ils travaillent avec les Chinois, mais ils travailleront aussi avec les États de l’Indo-Pacifique pour ne pas prendre position sur un enjeu mondial extrêmement complexe.”

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